Après la liquidation du ghetto, ses parents sont déportés dans un camp de travail à Czestochowa, devenant travailleurs forcés dans une usine produisant des munitions. Pendant cette période, Joseph est caché par ses parents dans des caves de la zone du camp, où ils le rejoignent dès qu’ils le peuvent. Joseph Schleifstein, lors de son interview, déclara qu'il avait des bribes de souvenirs de ses caches dans les ghettos : "Je me souviens avoir été mis dans des caves et caché dans le noir. À ce jour, je ne peux pas être dans le noir. Pendant des années, j'ai fait de terribles cauchemars et ai une angoisse terrible de la mort. … Je me souviens avoir eu très peur. Dans un cauchemar récurrent, je suis écrasé par des bottes. Je me réveille en hurlant la nuit."
En janvier 1945, l'usine ferme et ses activités sont transférées en Allemagne. Tous les prisonniers sont alors déportés vers d’autres camps : Esther à Bergen-Belsen, et Israël et le petit Joseph à Buchenwald, le 20 janvier 1945. Dans la confusion générale à l'arrivée au camp, Israël passe le processus de sélection en dissimulant Joseph dans un grand sac dans lequel il transporte ses outils pour travailler le cuir, qu'il a réussi à conserver de son activité de sellier. L'enfant échappe ainsi miraculeusement à la chambre à gaz.
Joseph est ensuite caché par son père avec l'aide de deux déportés antifascistes allemands. Remarqué par les officiers SS du camp pour son art de la fabrication de selles et de harnais, Israël Schleifstein bénéficie d'un sort un peu plus clément que les autres déportés juifs. Mais un jour, Joseph est découvert. Les gardes SS, contre toute attente, décident de ne pas l'assassiner et le traitent comme un genre de “mascotte“ du camp. Ils lui font confectionner un petit uniforme de déporté et l'obligent à participer aux appels matinaux, où il doit saluer la garde et faire le rapport : « Tous les prisonniers sont présents ». Une mise en scène macabre qu'il évoque en interview : "Je me souviens les avoir salués, je suis devenu la mascotte des Allemands et je disais : 'Tous les prisonniers sont présents' à la fin de l'appel… Je suppose qu'ils n'ont pas ressenti le besoin de me tuer», soulignant que l'art de sellier de son père faisait de ce dernier une “valeur inestimable“ pour les nazis, qui considéraient sans doute plus utile de conserver en vie un ouvrier aussi qualifié et son enfant...
Joseph et son père sont libérés par l'armée américaine le 12 avril 1945. Les soldats recensent alors 21 000 rescapés à Buchenwald, parmi lesquels près d'un millier d'adolescents et quelques enfants dont Joseph, qui sera photographié à plusieurs reprises, notamment assis sur le marchepied d'un camion de l’Organisation des Nations Unies. Lui et les autres enfants n'ayant pas de vêtements, on leur en confectionnera avec des uniformes de soldats allemands.
Après la libération, Joseph et son père sont envoyés en Suisse dans un sanatorium pour y être soignés. Quelques mois plus tard, ils retournent en Allemagne et se mettent à la recherche d'Esther, qu’ils finissent par retrouver dans la ville de Dachau. La famille vivra alors dans un camp de “personnes déplacées“ pendant quelque mois, puis émigre aux Etats-Unis en 1948.
Dans l'unique interview qu'il a accordé, Joseph Schleifstein déclarait qu'avant d'immigrer aux USA, il se souvenait avoir posé en 1947 à Dachau pour des photos dans son uniforme de déporté, lors de cérémonies commémoratives. Un souvenir pénible, malgré les sourires apparents sur les clichés... "Mon père voulait que je le mette, mais je ne voulais pas", se souvient-il. "Je pleurais. Je ne voulais pas être exposé ainsi."
Lors de cette interview, il racontait également qu'il était retourné en Allemagne pour la première fois en 1998 et n'avait “aucune amertume“. “La haine détruit ceux qui l'éprouvent“, soulignait-il, ajoutant “malgré l'horreur de ce qu'on fait les Allemands à l'époque, cela ne doit pas entacher les nouvelles générations. Être tourné vers l'avenir, c'est pardonner“.
Alain Granat / We Remember
Photos Copyright : United States Holocaust Memorial Museum, courtesy of Aviva Kempner / American Jewish Joint Distribution Committee
Dans un film produit par le réalisateur Norman Krasna en 1945, figurant des scènes filmées dans les camps de Buchenwald et Dachau, on peut y découvrir à 1'35 des images de Joseph Schleifstein, tournées lors de la libération du camp de Buchenwald.